03- L'appel de l'autre coté by alia__ | World Anvil Manuscripts | World Anvil

L'aveu

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— Sa mère la met vraiment dans tous ses états, soupira Johan. En tout cas, tu as bien fait de parler à Iselia.

 

Lorsqu’Anasteria avait retrouvé Johan peu après le déjeuner, elle lui avait raconté en détail la dispute qu’elle avait eue avec Ivona, son cauchemar, et sa discussion avec Iselia. Retracer tout cela avait ravivé sa colère et ses angoisses. Et ce mélange d’émotion créait chez elle une dangereuse instabilité. Elle regardait les étudiants qui allaient et venaient dans la cour alors qu’ils étaient assis sur un banc. Le pied droit d’Anasteria tapait rapidement et violemment contre le sol tandis qu’elle se repassait une énième fois la dispute dans son esprit.

 

— Je ne sais pas ce que sa mère lui a dit, mais ça lui a bourré le crâne. Et Iselia veut que je lui parle…

— N’en veut pas à Ivona, reprit Johan. Je ne pense pas qu’on réagirait bien mieux si nos parents devaient enquêter sur nos amis.

— Je ne suis pas en colère contre elle, expliqua Anasteria. Je suis en colère contre Voxana et je me sens inutile. Rien de ce que j’ai dit n’avait l’air de l’atteindre. Elle semblait m’en vouloir, et pourtant… Elle était inquiète après mon rêve.

 

Anasteria soupira et étira son dos dans un craquement. Pendant tout ce temps, elle pensait avoir réussi à la comprendre. Mais elle se trompait. Quelque part, Anasteria aurait préféré qu’elle l’ignore réellement, même après son rêve. Maintenant, elle caressait l’espoir que leur relation redevienne comme avant et cela rendait d’autant plus douloureuse la situation.

 

— Mais quand même, elle a dit certaines choses… Elle m’en veut pour son œil.

— Elle l’a dit sous le coup de l’énervement.

— Depuis quand est-ce que tu la défends à ce point ? demanda Anasteria, surprise. Tu es le premier à dire qu’elle n’a aucun tact.

— J’essaye de comprendre, répondit Johan dans un haussement d’épaules. Elle a ses défauts, on est d’accord. Mais je reste persuadé qu’elle ne pensait pas ce qu’elle a dit. Si elle pensait ce qu’elle disait, elle t’aurait purement ignoré après ton cauchemar. Et on sait tous les deux que quand elle n’aime pas quelqu’un ou lui en veut, elle le fait savoir. Tu veux que je te rappelle comment elle traite Davos ?

 

Anasteria huma en guise d’affirmation. Bien que Johan avait raison, cela n’atténuait pas vraiment la douleur dans le cœur d’Anasteria. Elle se sentait impuissante, et incapable d’agir. Elle aimait croire qu’elle savait comment procéder avec Ivona, comment lui parler. Mais elle se trompait lourdement. Ivona avait dressé de nouvelles barrières entre elles plus robustes et froides qu’au début. Et Anasteria se sentait désemparée. Cependant, toutes ses pensées s’envolèrent à l’instant précis où elle vit Voxana marcher dans la cour. Son sang ne fit qu’un tour, et avant qu’elle ne puisse réfléchir, ses jambes la portaient déjà vers elle. Elle entendait Johan l’appeler derrière elle, mais elle l’ignora purement et simplement. Elle voulait des explications, et Voxana allait lui donner. Lorsqu’elle se posta devant elle les bras croisés et le regard dur, elle n’obtient comme réponse qu’un haussement de sourcil dédaigneux de la part de la mage.

 

— Oui ?

— Qu’avez-vous dit à Ivona ?

 

Anasteria se sentait pousser un courage nouveau face à la mage. Ou peut-être qu’elle était bien trop énervée pour réfléchir posément. Et ce n’était sans doute pas la meilleure façon de commencer une discussion avec elle. Voxana soupirait déjà d’agacement.

 

— Je ne pense pas que cela te regarde, surtout si Ivona n’a pas voulu t’en parler.

— Elle refuse de me parler parce que vous lui avez dit d’agir ainsi.

— Je ne lui ai rien ordonné, répondit Voxana. Je l’ai juste mise en garde contre toi.

— Contre moi ? s’étonna Anasteria. Je n’ai rien fait !

— Ana, laisse tomber.

 

Johan l’avait finalement rattrapé et tira doucement sur son bras pour l’empêcher de continuer la discussion. Mais elle n’allait pas se défiler devant Voxana. Elle ne lui donnerait pas ce plaisir. Le regard hautain de cette femme lui donnait envie de faire preuve d’insolence seulement pour l’agacer. Elle se défit de la prise de Johan aisément.

 

— Enfin quelqu’un qui réfléchit dans ton petit groupe, rétorqua Voxana. Tu devrais l’écouter.

— Je n’ai pas peur de vous, affirma Anasteria. Je m’en fous de qui vous étiez avant et ce que vous avez fait.

— Par Aulus, soupira-t-elle. Tu es encore plus idiote que je ne l’imaginais.

 

Les poings d’Anasteria se serraient si fort qu’elle sentait ses ongles s’enfoncer lentement dans sa peau. Voxana se rapprocha de quelques pas. Malgré la croissance d’Anasteria, et sa taille plutôt imposante, elle dominait encore l’adolescente de quelques centimètres.

 

— Anasteria, que tu le fasses consciemment ou non, tu es le dénominateur commun de cette affaire. Je suis sûre que c’est à cause de toi que tout arrive.

— Je n’ai pas voulu tout ça, rétorqua Anasteria. Jamais je n’aurai laissé Ivona se blesser, ou abandonner mes amis face aux licheurs.

— Comme je l’ai dit : consciente, ou non. Je ne pense pas que tu sois quelqu’un de mauvais, tu es juste stupide. J’ai connu des gens comme toi avant, et tout comme eux, tu vas entraîner beaucoup de personnes dans ta chute.

 

 Anasteria décroisa lentement ses bras. Le sens de cette conversation n’était pas sans lui rappeler son étrange cauchemar. Doucement, la colère laissa place à la confusion. Voxana savait quelque chose.

 

— De quoi parlez-vous ? demanda-t-elle.

 

Voxana s’approcha encore un peu plus d’Anasteria, et elle pencha sa tête. Sa voix résonna dans le creux de son oreille et lui hérissa les poils.

 

— Tu ne comprends rien de ce qui t’arrive. Tu ne fais rien et pourtant te voilà la cible des ombres, et le Patriarche. Et malheureusement pour toi, ceux qui restent à tes côtés payent le prix fort. Pour l’instant, ma fille a perdu son œil. Combien de temps avant que l’un de tes amis meure ?

— C’est une menace ?

— Un conseil. J’ai vécu cela bien avant toi. Maintenant, reste loin de ma fille. Et ne te fais pas remarquer.

 

Voxana ne laissa pas à Anasteria l’occasion de répondre. Elle s’éloigna doucement laissant Anasteria et Johan sur le carreau. L’adolescente tourna la tête pour continuer de la suivre du regard.

 

— Elle sait quelque chose, murmura Anasteria. Elle sait ce qui m’arrive. Elle connait le Patriarche.

 

Sans laisser le temps à Johan de réagir, elle s’engagea à la poursuite de Voxana. En seulement quelques foulées, elle la rattrapa et agrippa sans ménagement son bras. Pendant un court instant, Anasteria crut que Voxana allait la frapper, mais la mage se dégagea facilement de la prise de l’adolescente et la fixa d’une mauvaise expression. Anasteria ne lui laissa pas le temps de répondre, et prit les devants.

 

— Vous le connaissez le Patriarche. Je veux savoir que ce que vous cachez.

— Et pourquoi est-ce que je ferais ça ?

— Je suis têtue. Vraiment. Et quand je veux quelque chose, je ne lâche rien. Demandez à votre fille. Vous savez quelque chose sur lui, et je l’ai entendu dans mes rêves hier.

 

Une expression de surprise passa rapidement sur le visage de Voxana avant qu’elle ne reprenne son calme. Elle fronça doucement les sourcils, et observa un bref instant les alentours.

 

— Tu as entendu le Patriarche, hier ?

— Oui.

— Tu veux parler ? Bien. Allons parler. Mais pas ici.

***

— C’est tout ? Tu n’as rien oublié ?

 

Anasteria serra son poing qu’elle cachait sous la table. C’était presque viscéral l’effet que lui procurait cette discussion avec Voxana. Mais elle savait qu’elle n’avait pas trop le choix. Elle aurait juste aimé que Johan puisse rester avec elle. Quand il se tenait à ses côtés, elle avait l’impression qu’elle pouvait tout affronter. Elle hocha doucement de la tête. Elle avait tout raconté dans les moindres détails. Elle regarda par la fenêtre sur sa gauche, et songea un instant à quitter la salle de classe.

 

— Le cauchemar, les licheurs, les voix, ma migraine, et mes yeux. Je pense que j’ai fait le tour.

 

Voxana resta silencieuse durant un moment, et heureusement pour Anasteria, elle ne l’observait pas directement. Son regard demeurait bien trop perçant pour ses nerfs fragiles.

 

— Qui est au courant de tout ça ? À qui en as-tu parlé ?

— Iselia. Je lui ai dit ce matin, c’est elle qui m’a dit de vous parler. Et bien sûr, Johan et Ivona.

 

Voxana fronça soudainement les sourcils et son expression arracha un frisson à Anasteria. Elle siffla entre ses dents.

 

— Je le savais qu’elle me mentait. Elle prétendait que tu n’étais qu’une fille normale, venant d’un village sans histoire.  

 

Anasteria ne cacha pas sa surprise. Elle ne pensait pas qu’Ivona oserait tromper à sa mère pour la préserver. Voxana lui insufflait une peur bleue, et pourtant cela ne l’avait pas empêché de lui tenir tête.

 

— C’est à cause de moi, expliqua Anasteria. Elle voulait me protéger.

— Ce qui n’est pas franchement une réussite. Mais passons. C’est entre elle et moi. Qui d’autre ?

— C’est tout.

— Vraiment ?

— Oui vraiment ! Par les esprits, je ne mens pas !

— Et le premier enchanteur ?

— Il ne sait rien. Je ne lui ai rien dit. Et il pense que si l’on s’en est sorti c’est grâce au talent d’Ivona. Il n’a pas vraiment posé plus de questions.

— Davos ?

— Je n’ai rien raconté à Davos, expliqua Anasteria.

— Pourquoi n’as-tu parlé à personne ?

 

Anasteria soupira bruyamment. Elle en avait déjà assez de la discussion, mais elle se fit violence pour ne pas renverser la table devant elle. Elle haussa les épaules.

 

— Je ne suis pas idiote. Je sais que ce qui m’arrive n’est pas naturel. Que quelque chose est différent chez moi. Et je ne veux pas que tout le monde soit au courant.

— Et pourquoi moi alors ?

 

Anasteria fronça les sourcils et croisa les bras. Elle regarda longuement le visage de la mère d’Ivona.

 

— Soyons honnêtes, reprit la jeune mage. Je ne vous fais pas confiance, et je ne vous aime pas. Je sais à quel point vous êtes affreuse avec Ivona, et j’utilise tout mon contrôle et mon savoir-vivre pour ne pas vous coller la gifle que vous méritez.

 

L’explication eut le mérite de faire lâcher un rire à Voxana. Elle secoua la tête, presque amusée par la situation. Visiblement, elle ne pensait pas à Anasteria capable d’une telle chose.

 

— Au moins, c’est honnête, en effet.

— Je le fais pour elle.

— Pour qui ? demanda Voxana avec un haussement de sourcils.

— Pour Ivona, expliqua-t-elle. C’est ma faute si elle est blessée, et je ne me pardonnerais jamais ça, alors… Je veux éviter d’autres incidents, surtout après mon rêve. Je ne sais pas si ce patriarche était sérieux, mais je ne veux pas prendre de risque. Et puisque vous semblez connaître pas mal de choses…

— Qu’est ce qu’il t’a dit exactement le Patriarche ?

— Il me testait. Apparemment, c’est lui le responsable de ce merdier. Et il a dit que si je l’écoutais, lui et l’autre fille qui se trouvait avec lui, il m’aiderait à maitriser mes pouvoirs.

— Et tu as répondu… ?

— Comme je l’ai dit, je ne suis pas idiote. Je ne viens peut-être pas d’une grande famille de mages, mais je sais qu’on ne peut faire confiance aux ombres. Et avant que vous me posiez la question : non. Je ne connais pas l’autre fille. Et elle ne se trouve pas dans cette école.

 

Voxana hocha doucement de la tête. Quelque chose dans son expression ne rassurait pas vraiment Anasteria. Elle semblait soucieuse, et pour une mage de son acabit, c’était forcément mauvais signe. Face au silence qui s’installa, Anasteria perdit rapidement ses nerfs.

 

— Alors, vous allez pouvoir m’aider, ou non ?

 

Voxana secoua doucement sa tête, et sa réponse sonna comme un glas aux oreilles d’Anasteria.

 

— Non. Je ne peux pas.

— Mais je —

— Calme-toi, intervint-elle en levant la main. Tout ce que je dis, c’est que je n’ai pas tes pouvoirs. Je ne peux pas t’apprendre à les maitriser. Cependant, tu n’es pas la première, et sûrement pas la dernière. Même si pour une raison qui m’échappe, tu sembles attirer facilement l’attention.

— Alors… Vous en connaissez d’autres ?

 

C’était une lueur d’espoir pour Anasteria. Elle n’avait pas vraiment pensé à cette éventualité. Mais quelque part, cela lui apporta un certain réconfort, même si une montagne de problèmes se dessinait devant elle.

 

— Oui, répondit simplement Voxana. Mais tes pouvoirs c’est vraiment le cadet de nos soucis pour l’instant.

— Pourquoi ?

— J’espère que tu as bien conscience que tu es une adolescente. Cela veut dire que tes pouvoirs ne font que commencer à se manifester. En un mot : ça va empirer. Surtout les cauchemars et ton hypersensibilité aux énergies.

— Et ben, on peut dire que vous savez remonter le moral vous.

— Je ne suis pas là pour te plaire. Mais si tu veux que je mente…

 

Anasteria leva les yeux dans un nouveau soupir bruyant.

 

— Très franchement, c’est un miracle qu’Ivona ne soit pas aussi irritante que vous.

— Et je me pose la question : comment peut-elle te supporter ? Mais c’est comme ça, la vie est pleine de mystères.

— Je crois qu’elle peut, car elle a un cœur.

— Par Aulus, tu es insupportable.

— Incroyable, ça vous fait finalement un point commun avec votre fille. L’espoir est toujours là.

 

Voxana se pinça l’arête du nez, et dans ce mouvement, Anasteria vit le même agacement qu’Ivona.

 

— Tout ce que je dis, reprit-elle, c’est que tes pouvoirs n’ont pas atteint leur maximum. Tout ça va empirer. Et surtout, ce n’est pas le plus important. Tu auras tout le temps de t’entrainer, mais ce qui m’inquiète, c’est que le cauchemar et les licheurs n’auraient jamais dû t’atteindre. Sans parler de la voix du Patriarche. Inutile de te dire que tu ne dois pas lui faire confiance.

— Comme je l’ai dit : je ne suis pas idiote. Je sais ça. Mais vous vous rendez compte de ce que vous insinuez ? Ça veut dire que quelqu’un se cache derrière ces attaques, vraiment.

— Ce qui m’inquiète, c’est surtout de constater que son influence est forte en ce moment même. Tu n’aurais jamais dû rêver de lui si l’académie était correctement protégée.

— Alors, qu’est ce qu’on fait ?

— Toi, tu ne fais rien, ordonna-t-elle. Essaye de suivre tes cours, et par les fondateurs, contient tes pouvoirs.

— Comment suis-je censée faire ça, alors que je ne comprends rien de ce qui m’arrive ?

— N’as tu donc pas écouter en cours ? Calme-toi. C’est aussi simple que ça. Tes émotions influencent tes pouvoirs, comme ceux des autres mages. Plus tu paniques, plus tu crées de catastrophes. Comme je te l’ai dit, je ne possède pas tes pouvoirs, je ne peux pas vraiment t’aider. Mais je connais quelqu’un qui peut.

 

Une lueur d’optimisme qu’Anasteria n’espérait plus se profila devant elle. Alors elle avait raison. Voxana détenait certaines informations, et même si elle ne pouvait l’aider directement, elle pouvait la guider vers quelqu’un comme elle. Peut-être qu’elle n’était pas condamnée à subir sa condition.

 

— Cependant, reprit Voxana, le temps que je le contacte, et qu’il vienne, il est possible qu’une autre attaque ait lieu. Surtout si l’influence du Patriarche est déjà présente.

— Donc je ne dois pas l’attirer plus que de raison, devina Anasteria. Et ne pas créer de catastrophe avec mes pouvoirs.

— Tu dois comprendre que tu es une mage, Anasteria. Et toi, plus que quiconque, tu ne fais qu’un avec. Alors, n’essaye pas de combattre.

— “Laisse la magie venir à toi, ne la combat pas.” C’est ce qu’Ivona répète sans cesse.

— Et elle a raison. Lorsque la magie tente de te dire quelque chose, concentre-toi. Écoute-la, et comprend ce qu’elle veut dire.

 

Anasteria hocha doucement de la tête. Certes, sa situation restait encore difficile, mais si Voxana disait la vérité, elle pouvait espérer trouver quelqu’un comme elle. Elle inspira profondément dans l’espoir de se calmer. Elle entendait les conseils de la mage, mais elle savait que les appliquer serait une tout autre histoire.

 

— Si tu ressens quelque chose d’étrange, viens me voir, lui conseilla Voxana.

 

Elle marqua un temps d’arrêt, et s’approcha de l’adolescente. Leur proximité mit cette dernière affreusement mal à l’aise, mais elle soutint le regard glacial devant elle.

 

— Cependant, le Patriarche a raison sur un point. Tu ferais mieux de rester seule. Ou bien, tu vas attirer tes amis dans les ténèbres. Après tout, le fardeau des gens comme toi est de vivre dans la souffrance, et tout perdre.

 

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