Chapitre 15

671 0 0

L’attente des élohim de Tiphéreth s’éternisa alors que les démons continuaient d’assaillir la séphira. Par miracle, celle-ci tint.

— Les séraphins font un travail formidable, expliqua Padmilia à ses chorales. Els prennent tous les risques pour consolider la séphira ! Ce sont de courageux forger’ailes ! Pour les soutenir, nous allons organiser un gala !

— Un gala ? fit Michaël.

— Oui ! Une grande fête pour les soutenir, ici, dans l’abri. 

Applaudissements polis. Michaël tint sa langue. Les préparations du gala capturèrent toute l’attention de Padmilia, masquant ses peurs, ses frustrations. Michaël le comprit, mais dû canaliser son indignation face à tous les nobl’ailes de l’abri qui se lancèrent corps et âmes dans l’évènement. C’est alors qu’el reçu une étrange invitation.

Cher Michaël,

Ici dans l’abri, je ne peux t’offrir grand-chose pour te remercier d’avoir sauvé mon Prométhée. Je profite donc du gala pour t’inviter à faire partie de ma suite pendant l’évènement. Qu’en dis-tu ? 

Arielle

L’azoha Arielle de Netzach était la mère du petit Prométhée, à qui Michaël avait rendu son fils dans le chaos qui avait envahi l’abri le premier jour du confinement. El était aussi une des favorites du Grand Architecte en personne. 

— Wow Michaël, tu te rends compte ? S’était émerveillé Padmilia. Arielle est la maîtresse en titre de Père actuellement. Elle a toute sa faveur. Si tu deviens ami avec elle, cela sera un avantage pour nous !

— Vraiment ? s’étonna Michaël.

— Le gynécée du Palais d’Argent est une institution discrète mais très influente ici. Arielle est une matriarche en devenir. Bon, elle a perdu un peu de sa superbe depuis la naissance de son dernier petit là, mais ça ne durera pas. Père l’aime trop. 

— Je suis désolé de m’être énervé contre toi l’autre jour. Je sais que c’est frustrant de ne pas pouvoir intervenir directement. Mais bon, cela soulève une question importante : ton mariage. Il faut que tu t’unisses à des azohim rapidement pour donner naissance à des petites vertus de ta graine. Cette dernière est très précieuse Michaël. Tu comprends ?

— Oui, soupira la jeune vertu. 

— Je vais demander à ma matriarche de te trouver des demoiselles à courtiser dans mon gynécée. Arielle pourra surement t’en trouver une parmi le harem royal ! Quel privilège !

Le jour du gala arriva. Tous les nobl’ailes de l’abri revêtirent leurs plus beaux atours, confectionnés par les designers qu’els avaient emmenés avec els ici. Aradim quitta son propre tapis pour marcher sur le tapis rouge du gala, dans un habit de cristaux dorés. Idiel se para d’une robe bleue éthérée, sa beauté sublimée dans la mise en beauté diaphane de son visage. Padmilia revêtit une robe de mailles d’argent, rehaussée d’un plastron, glorifiant la guerre là-dehors. Le généralissime Gadreel el-même fit une apparition, dans une armure cérémonielle taillée dans l’or et le rubis. Après les élohim, ce fut au tour de leurs azohim de défiler, toutes plus belles les unes que les autres. Arielle particulièrement captiva les spectateurs par sa beauté mirifique. Elle était vêtue d’une longue robe vert émeraude, aux manches sculptées de papillons de dentelle aux ailes battantes. Ses longs cheveux noirs et bouclés cascadaient sur son dos nu. Elle portait une coiffe de fleurs en cristal. Ses yeux couleur océan brillaient avec la même malice que ceux de son fils, qui défilait avec elle dans un petit costume adorable. Michaël était dans sa suite, tenant sa traine, el même habillé d’un costume très sobre. Rouge comme une pivoine, el détestait être le centre de l’attention d’innombrables élohim. Mauvais souvenirs. Heureusement, le public et les centaines d’ophanim photographes se concentraient essentiellement sur Arielle. 

Que va penser le peupl’aile ? se demandait Michaël. Que vont penser les billards d’élohim là-dehors, qui résistent à l’assaut des démons pendant que leurs dirigeants font la fête, à l’abri ? Je ne veux pas être ici.

Michaël fit de son mieux pour dissimuler son malaise derrière un sourire poli. Après le défilé, tous les invités du gala se retrouvèrent dans un hall immense, décoré comme l’intérieur d’une géode d’améthyste, symbole associé au Grand Architecte el-même. Ce dernier n’était pas présent. Sa lumière suffirait à faire valdinguer tout le décor. Mais sa présence était marquée dans le paysage. La géode luisait de sa lumière mauve. Une lune argentée brillait au firmament. Des myriades d’anges voletaient dans des formations artistiques captivantes. Et son entourage, ses conseillers, ses fils, ses maîtresses, était eux bien présents. Pour la première fois depuis longtemps, Michaël se sentit intimidé. Son Père était tout près, plus près que jamais. 

Arielle et sa suite, principalement composée d’azohim, s’installèrent autour d’une grande table qui regorgeait de délices d’ichor et d’ambroisie, des centaines de plats colorés cuisinés par les meilleures principautés-cheffes de la Création. Arielle offrit à Michaël le privilège d’être juste à ses côtés. Prométhée s’installa sur ses genoux. Michaël ne put s’empêcher de pincer ses joues toutes rondes. L’enfant était si petit, si jeune et pourtant si vif et intelligent. El jouait sur sa boule de cristal mais commençait déjà à trépigner. L’ennui viendrait bientôt. EL était le seul enfant ici. Michaël avait découvert avec étonnement qu’Arielle, pour une raison inconnue, refusait catégoriquement de se séparer de son enfant. Le petit était obligé de rester dans les jupes de sa mère, littéralement. 

Prométhée est un enfant spécial et je ne peux faire confiance à personne pour le garder, expliqua Arielle à Michaël en murmurant. 

— Spécial ? Comment ça ? Il est remarquable en effet mais…

— Tu ne peux pas encore comprendre, coupa Arielle en souriant. Mais un jour, par la volonté d’EL, tu sauras…

— D’accord…

Le repas de gala commença. Pendant ce temps, une flopée de principautés artistes se donna en spectacle à l’assemblée des nobl’ailes. Des chanteurs et danseurs de prestige, adorés par tous les élohim des Cieux. Le groupe Luminara, la diva Astra Seraphina et même le légendaire Gloriel Christ, se succédèrent sous les regards amusés du public. Leur charisme capturait l’attention d’une manière presque forcenée, effaçant toute pensée négative des esprits. Cela ne fit qu’accentuer le malais de Michaël, qui n’avait aucune envie d’oublier la situation. Heureusement, le petit Prométhée lui rendit le sourire en dansant avec une grâce et une légèreté étonnantes pour un enfant de son âge. 

— El est vraiment doué, s’extasia Michaël.

Arielle sourit fièrement. À la fin du spectacle, les artistes quittèrent la scène pour la laisser aux invités, qui la transformèrent en piste de danse. L’after party commença. Le jus de grenade commença à couler à flot. Michaël se laissa enfin un peu aller, dansant avec Prométhée, qui voletait partout. 

Oh qu’il est mignon !

Michaël leva les yeux. Une domination se tenait devant el, toute habillée de cuir sombre. Ses cheveux noirs étaient ornés de mèches rouge sang. 

— Vilanel…

L’agent de Géhenna sourit à Michaël, avant de reporter son attention sur Prométhée, applaudissant ses exploits. Michaël déglutit, les dents serrées. Arielle arrivant alors et se plaça entre el et Vilanel. 

— Allez danser ailleurs vous, ordonna-t-el. 

Face à la maitresse en titre du Grand Architecte, Vilanel n’eut d’autres choix que de déguerpir, sans se départir de son sourire irritant. 

— Maudit espion, râla Arielle. 

— Qu'est-ce qu’el te veut ? demanda Michaël. 

— Prométhée. El veut Prométhée. Géhenna et leurs maudites prophéties… Tu les connais bien n'est-ce pas ?

Michaël se figea, troublé. 

— Je sais que tu as collaboré avec els à un moment, sourit Arielle. 

L’azoha prit son enfant par la main et proposa à Michaël de se réinstaller à table pour discuter. 

— Els m’ont aidé à quitter Hod après… ma dispute avec l’archange Raphaël, expliqua Michaël.

— C’est ce que les rumeurs dans le gynécée m’ont rapporté, se remémora Arielle. Mais els t’ont trahi n’est-ce pas ?

— Oui els m’ont… littéralement jeté par-dessus bord car je ne voulais pas abandonner le vaisseau sur lequel nous naviguions à l’époque. Enfin, je ne voulais pas abandonner les passagers face à une infestation démoniaque. Je voulais les mener jusqu’à Guebourah et faire face au jugement qui nous attendrait là-bas. Je sais qu’els ne rigolent pas avec les vaisseaux infestés, qu’els étaient prêts à nous détruire. Mais je ne pouvais pas abandonner tout le monde comme ça…

— Qu’est devenu le vaisseau ? demanda Arielle. 

— J’en sais rien, avoua Michaël. Je n’ai jamais pu retrouver sa trace. Il semble avoir disparu. Je n’ose imaginer comment. 

Arielle fit une moue attristée, soupira. 

— Tu sais ce que Géhenna te voulais, non ?

Michaël adressa un regard circonspect à Arielle.

— Ma graine, je suppose. 

Arielle baissa les yeux, sourit. 

— Si ce n’était que ça, soupira-t-el. Tu es comme mon Prométhée, spécial. C’est pour cela qu’els te convoitent. 

— Els ne me convoitent plus je pense.

Arielle secoua la tête. 

— Ce n’est pas un hasard si tu es parvenu jusqu’ici Michaël. Géhenna est intervenu. Géhenna est partout. El enserre tout le monde, même le Grand Architecte, dans ses fils rouges. 

— Quoi ? 

— Tu le sais, au fond. Tu ne te l’es pas encore avoué, c’est tout.

Michaël secoua la tête à son tour, irrité.

— Tout ce que tu as vécu ici, à Tiphéreth, et même avant… tout ceci était prévu, hoqueta Arielle. C’est un grand récit à la fois prédit et écrit par el, au service de ton Père, une sorte de prophétie auto-réalisatrice. Tu penses pouvoir maitriser ta propre vie, mais je t’avertis, il n’en est rien. Je l’ai appris à mes dépens moi-même. Nous sommes dans la même histoire toi et moi, figure-toi. 

— Je ne comprends pas, souffla Michaël, aussi surprit qu’horrifié. De qui parlez-vous ? De Géhenna ? 

Arielle leva les yeux au ciel, souriant douloureusement. Ses grands yeux-océan se remplirent de larmes. Sa tristesse toucha Michaël, qui en oublia presque sa propre détresse. 

— Que voulez-vous dire Arielle ? 

— Je veux juste, je veux juste que tu sois préparé. 

— À quoi ?

— À ta rencontre avec ton Père. 

Michaël recula dans son siège, choqué. 

— Ça ne sera pas comme… comme tu l’aurais voulu je pense mais… il est temps.



Michael inspira, expira. Seul dans l’antichambre de la salle du trône, el patienta la boule au ventre, les mains tremblantes. L’endroit, entièrement fait d’or massif, n’était pas très vaste pour une salle du Palais d’Argent. Michael, étouffé par l’appréhension, avait l’impression de se trouver à l’intérieur d’un sarcophage. 

— Détends-toi, avait conseillé Padmilia. Tu vas enfin rencontrer Père, c’est un moment magique !

L’archange avait revêtu son petit frère d’une robe mauve cérémonielle très ample, dorée d’une longue traîne. La tenue était lourde. Michael ne pouvait faire que de tout petits pas. Quand les portes s’ouvrirent devant el, el se précipita doucement. 

Le Grand Architecte était là, assis sur son trône d’améthyste, dans une salle basse et étroite faite d’or massif elle aussi. El était un être de lumière totale, aveuglant et pourtant, Michael pouvait le voir. Ce paradoxe le troubla. El croisa son regard mauve, insondable, vit son sourire divin. Son visage était pâle, presque maladif. El avait des cernes rouges sous les yeux. Michael battit des paupières et ces signes disparurent, ne laissant voir qu’une expression blanche, parfaite. Ses cheveux étaient mauves et coulaient autour de sa fine silhouette. Le Grand architecte était gracieux, son apparence juvénile et pourtant, des signes de son âge transparaissaient. Michael pouvait les apercevoir, les sentir dans son aura.

La jeune vertu s’immobilisa, le souffle coupé. Des milliers de mots pressaient contre sa langue, incapables de sortir. Père et fils s’observèrent longuement. Michael n’avait pas le droit de prendre la parole en premier, alors el attendit. 

Trois autres élohim étaient là, assis autour d’une table juste en dessous du trône. A la droite du Grand Architecte, Michael reconnut le généralissime Gadreel, revêtu d’une armure d’argent. Son visage était caché sous son casque, mais son halo bleu vibrait d’intérêt. À l’opposée se trouvait nul autre que Chakra Varti, l’illustre fils de Sandalphon, souverain de la Chapelle Hypocras, celle qui apportait soins aux élohim. Chakra Varti lévitait, assis en tailleur. Couverte de tatouages lumineux, sa peau sombre semblait avoir été tannée par la lumière d’EL en personne. 

Que font els ici ? se demanda Michael, tremblant. Ces élohim étaient aussi anciens que puissants, les souverains des souverains. Padmilia n’avait pas mentionné que le Grand Architecte serait accompagné par de tels colosses. 

Au centre, juste sous le trône, se trouvait le troisième éloha. Un colosse el aussi, confortablement installé dans un grand divan. Son halo était d’un rouge vif, tout comme ses cheveux. Sa peau était pâle, son habit blanc, ses yeux bleus électriques. Satanachia Fitzor, lut Michael dans son halo, une domination fille de l’Oracle-entre-les-Étoiles. Sa lumière était étrangement similaire à celle du Grand Architecte dans son intensité. El était âgé, surement né à l’aube du Tikkun, il y a douze mille ans. Les cœurs de Michael ratèrent un battement, puis s’emballèrent presque douloureusement. 

— Bienvenue mon fils, salua finalement le Grand Architecte.

Michael fut saisi d’un brusque vertige. En un clin d’œil, Chakra Varti lévita vers el et le rattrapa, l’empêchant de chuter. D’un geste de la main, el tissa une thaumaturgie qui guérit subitement Michael de son malaise. Sa stabilité retrouvée, Michael resta choqué par les paroles de son Père, ou plutôt par sa voix pleine d’échos. Elle lui était inconnue, mais résonnait si familièrement. Michael l’avait déjà entendu bien des fois, el en était sûr. Mais quand ? Un étrange amusement naquit dans ses cœurs, cohabitant avec l’appréhension. El sourit. En voyant cela, le Grand Architecte sourit de plus belle.

— Cela fait longtemps que j’attends de te rencontrer, mon enfant.

— Moi aussi, répondit Michael, les yeux ébahis.

Des larmes raillèrent sa voix. El les ravala autant qu’el pu, jetant un regard à Chakra Varti pour qu’el lui prodigue une thaumaturgie apaisante. La grande vertu secoua la tête, affichant un sourire serein, amusé. 

— Michael, tu as fait un long chemin pour arriver ici. Raconte-moi tout.

— Tout ?

— Tout, demanda le Grand Architecte sans reproches. Pourquoi as-tu quitté Hod, le royaume que je t’avais donné pour nid ? 

Michael soupira longuement, puis raconta tout. Les évènements de Sicad, son supplice auprès de Burrhus, sa longue marche, sa fuite dans le Domitia, son éjection du vaisseau. Puis son errance dans les mondes fleurs autour de Shemesh, son arrivée dans le Palais d’Argent, les intrigues, les cauchemars, Miel. Puis la guerre passée enfermé dans la salle stratégique d’Astra Strategica. 

— Quelle aventure, s’amusa le Grand Architecte à la fin du récit. 

Un élan de vexation envahit Michael, qui prit soin de ne pas le montrer. Le Grand Architecte le remarqua tout de même.

— Ne sois pas triste, Michael, ordonna-t-el. Tout ce qu’il s’est passé était de ma volonté.

Tout ? Vraiment ? 

— Enfin, pas exactement tout, relativisa le Grand Architecte. Tu as souffert et cela, je ne l’ai pas voulu une seconde. Malheureusement, nous avons des ennemis parmi nous, dans les Cieux. Ennemis que tu as vaincus avec brio.

Michael secoua la tête, les cœurs pleins de désarrois. Jamais el ne s’était senti victorieux de quoi que ce soit. 

— Toutes les épreuves que tu as traversées ont servi à forger ta force, ton caractère, pour que tu puisses accomplir la destinée que nous t’avons choisi. Telle une âme dans son ascension, tu as affronté ces épreuves, tu les as réussies. Nous sommes fiers de toi, Michael.

“Nous” ?

Michael vit alors Satanachia sourire d’une oreille à l’autre, d’un sourire ambitieux, prédateur. 

Oh toi, je sais qui tu es…

Arielle l’avait averti et el était là, sans détours, sans pudeurs. Le grand monstre de Géhenna, celui qui avait tout orchestré, paraît-il. Jusqu’où ? Peu importait, Michael devait reprendre le contrôle. 

— Ma destinée me porte au combat, déclara alors Michael. Père, laissez-moi sortir de cet abri. Laissez-moi aller combattre pour protéger notre séphira. Et une fois Zeir rentré, laissez-moi rejoindre Guebourah. 

Chakra Varti et Gadreel se regardèrent, circonspects. Satanachia el, sourit de plus belle. Mais le Grand Architecte, el, fit une moue ennuyée. 

— Ta graine est trop précieuse pour être sacrifiée sur le front Michael, dit-el. Ton devoir en tant que Fitzarch est à présent de prendre des épouses et de procréer. 

Michael se mordit la lèvre, refoula de nouveau des larmes, cette fois-ci causées par la frustration. Sa langue se noua, l’empêchant de répondre. Mais el vit alors qu’el n’était pas le seul à accuser le coup. Satanachia avait perdu son sourire. El s’était retourné brièvement vers le Grand Architecte, comme pour l’interpeler, mais s’était finalement tû el aussi. Son visage était à présent fermé, masquant mal une grande contrariété.

— Ne fais pas cette tête, Michael, dit alors Gadreel de sa voix profonde. Les puissances de Guebourah ont besoin de vertus spécialement formées pour affronter le front de l’Abysse. Ce n’est pas comparable à tes expériences passées de vertu militante. 

Je peux apprendre, couina Michael. 

— Tes dons seront bien plus utiles parmi Hypocras ou Milicent, ricana Chakra Varti. Padmilia va bouder, mais peu importe. C’est du gâchis de t’enfermer dans une salle stratégique alors que tu pourrais tisser de magnifiques thaumaturgies. 

— Chakra et Gadreel ont raison, décida le Grand Architecte. Michael, je sais que tu aimes la liberté, alors je te laisserai choisir une affection ici, au Palais d’Argent, en espérant que tu sauras te rendre utile parmi nos plus prestigieuses chorales. Tu pourras continuer à servir Padmilia si tu le souhaites, mais Hypocras ou Milicent pourraient aussi faire l’affaire non ? 

Chakra acquiesça poliment. Michael ne comprit pas. Était-ce donc ça la destinée prévue pour el par le Grand Architecte ? Toutes ces épreuves traversées pour décrépir enfermé dans le Palais d’Argent ? 

— Ma tendre maîtresse Arielle va te présenter de belles demoiselles parmi lesquelles tu pourras choisir des épouses, annonça le Grand Architecte. En gage d’amitié et de reconnaissance, el fait aussi de toi le gardien de notre plus jeune fils Prométhée. El sera le premier enfant de ton nid. 

Michael ressentit un petit soulagement. Au moins pourrait-el s’occuper de l’adorable Prométhée. Sa propre réaction le surprit. Qu’était cet enfant face aux enjeux du combat, là dehors ? Satanachia n’avait pas l’air content non plus, agacé. El scruta cependant Michael avec insistance, puis dans une grande volte-face, s’adressa au Grand Architecte. 

— Je pensais que l’enfant serait à moi ! s’indigna-t-el. 

— Non Satan, pas cette fois, rétorqua le Grand Architecte. Tu n’avais pas qu’à jeter Michael par-dessus bord !

— Mais ! Je n’ai fait que…

— Silence ! Cette audience est terminée.



— Mon archange, salua Michaël en entrant dans le domaine de Padmilia. 

L’archange avait fait son nid dans l’abri, comme ses frères, il y a déjà bien longtemps. Ce n’était pas la première fois qu’el se réfugiait ici, loin de là. Dans l’abri, Padmilia possédait un palais d’améthyste, plus petit que son domaine du Palais d’Argent, mais tout aussi luxueux. Les Fitzarch d’Astra Strategica s’étaient installés là avec le reste de sa cour. Els échangeaient dans le grand salon d’améthyste.

— Padmilia ? appela Michael. 

L’archange l’ignora, gardant son attention sur ses autres courtiers. Michael soupira, comprit. Padmilia était le gardien officiel du Grand Architecte. El n’y avait pas participé, mais el savait ce qu’il s’était passé lors de l’audience. El savait pour Guebourah, connaissait la volonté de Michael. Et maintenant, el boudait. 

Un grand malaise s'abattit sur Michael. El quitta le salon et monta dans son petit nid. Sentant ses forces le quitter, el se coucha dans son lit-œuf. 

— Tu fais quoi ?

Michael sursauta. 

— Prométhée ?!

L'enfant était là, dans la chambre. El gloussa, moqueur. 

— Comment es-tu entré ici ? s’exclama Michael. 

— Je vais où je veux ! proclama l’enfant. 

— Prométhée !

La voix d’Arielle résonna derrière la porte de la chambre. Michael sortit de son lit, ouvrit. 

— Bonjour ! fit l’azoha, tout sourire. 

— Bonjour, répondit Michael, confus.

— Prométhée ? appela Arielle. Où es-tu ? 

Michael se retourna, cherchant le petit du regard. Arielle se précipita dans la chambre, se pencha, et tira l’enfant de sous le lit. 

— Vilain ! Sois gentil un peu ! Nous sommes chez ton gardien !

Michael réalisa alors ce qu’il se passait. 

— Ah ! Désolée, sourit la sublime Arielle en se redressant en direction de Michael. Je me suis dit que nous devions te rendre une petite visite, jeune Fitzarch. Tu dois apprendre à connaitre ton petit protégé. 

Prit de court, Michael se mit à la recherche d’un petit salon où recevoir dignement Arielle et sa suite. L’azoha était en effet accompagnée d’une dizaine de demoiselles et d’un petit contingent de puissances garde-du-corps. Les courtiers de Padmilia qui passaient dans les couloirs se retournèrent sur leur passage, les yeux ébahis. Les vertus qui géraient le domaine n’avaient de toute évidence pas été averties de la visite de la maitresse en titre du Grand Architecte. Els finirent par intervenir, conduisant la suite vers une salle de réception richement agrémentée. Le thé d’ichor fut servi, avec des myriades de délices d’ambroisie. Un joyeux gouter commença, autour d’un Michael sonné. Les demoiselles azohim présentes le regardèrent avec curiosité et amusement, le jaugeant sous toutes les coutures. 

— Regarde mes demoiselles, sourit Arielle. Je les ai ramenées pour que tu puisses choisir une ou plusieurs épouses parmi elles. Qu’en penses-tu ?

Michael déglutit, sans rien dire. Les jeunes azohim étaient toutes sublimes, rayonnantes et joyeuses, enveloppées de fastueuses robes de soie colorée. Leurs cheveux étaient relevés dans des coiffures élaborées, rehaussées de coiffes extravagantes. Leurs ongles étaient longs et ornés, prouvant que leur mains ne connaissaient pas le labeur. Mais la beauté de ces azohim n’atteignit pas le jeune Fitzarch. 

— Mes demoiselles sont très bien éduquées, intelligentes et cultivées, présenta Arielle. Elles savent faire la conversation, si c’est ce que tu désires. La beauté est un acquis pour toutes les azohim, mais l’intelligence, c’est autre chose. C’est pourquoi je les éduque bien. 

Michael regarda Arielle. Cette dernière était à peine sortie de l’adolescence, mais son statut de maitresse en titre faisait déjà d’elle une cheffe de nid. 

— Mes demoiselles seront d’excellentes mères et matriarches. Elles sauront gérer un nid, divertir tes convives et élever ta descendance. 

Michael acquiesça poliment. 

— Comment vas-tu ? demanda Arielle en voyant la mine détachée du Fitzarch. Comment s’est passée l’audience avec ton Père ? 

— Eh bien, soupira Michael. Je lui ai demandé de m’envoyer sur le front, pour aider les séraphins là-dehors, puis à Guebourah, mais… el a refusé. 

Arielle ouvrit grand les yeux, choquée. 

— Par EL Michaël ! s’exclama-t-elle. C’est bien trop risqué ! Ton Père n’acceptera jamais une telle chose !

Michael retint une grimace. Poussé par la frustration, el se confia. 

— Rester ici sans rien faire est contre ma nature, expliqua-t-el. EL m’a fait pour combattre, je le sens, je le sais. 

Arielle regarda un instant dans le vide, pensive. 

— Michael a raison ! s’exclama Prométhée. Faudrait taper les démons plutôt que se cacher ici !

Les demoiselles tout autour gloussèrent. 

— Hors de question ! gronda Arielle. Tu dois rester ici, en sécurité ! Michael est ton gardien à présent. EL va t’apprendre à être un bon petit éloha. 

Michael regarda la belle Arielle, circonspect. 

— Pourquoi m’avez-vous confié votre fils ? demanda-t-el sans détours. J’avoue ne pas comprendre ce que… vous voyez en moi… pour Prométhée. 

— Tu es un éloha courageux, honnête, puissant, et surtout indépendant, jugea Arielle. Tu es le seul ici à ne pas avoir d’ambitions néfastes pour mon bébé. Prométhée est spécial. Beaucoup le convoitent. Mais je sais que toi, tu auras ses intérêts à cœurs. 

Michael battit des paupières, dubitatif. Bien sûr qu’el avait les intérêts de Prométhée à cœurs mais en quoi méritait-el d’être son protecteur, son gardien ? Arielle perçut ses interrogations. 

— Prométhée a déjà cinq ans, expliqua alors l’azoha. Le Grand Architecte insiste depuis plusieurs mois pour que je le confie à un gardien, comme le veut la tradition. Mais je n’ai confiance en personne. 

— Ah ? Pourquoi pas faire confiance à Padmilia ? Ou Aradim ? Els ne sont pas méchants…

— Els sont ambitieux ! Els seraient prêts à vendre Prométhée au plus offrant en échange de je ne sais quoi ! Els seraient prêts à le vendre à Géhenna !

— Padmilia ne porte pas Satanachia dans ses cœurs, commença à argumenter Michael, mais Arielle le coupa. 

— Lorsque je t’ai rencontré, lorsque tu as sauvé Prométhée, je me suis rendu compte qu’il y avait au moins un éloha ici avec de bons cœurs. Alors je t’ai choisi toi. Tu es le seul qui… qui… ne le vendra pas à Géhenna au moins. 

— Satanachia tient tant que cela à obtenir la garde de Prométhée ?

— Oui, révéla Arielle. El le considère comme un “enfant de prophétie”. Mais tu sais comment ça finit avec el, non ? 

— Je conçois en effet que Géhenna ne soit pas un bon gardien pour un enfant…

Arielle sourit. 

— En tant que gardien de Prométhée, j’attends de toi que tu le protèges, que tu l’éduques, sans m’exclure du processus. Ta mère Ophélia t’avais confié à Raphaël. À présent, c’est à ton tour de devenir gardien. 

C’était le Grand Architecte qui avait en réalité choisi Raphaël comme gardien, pas Ophélia. Dans les faits, contrairement à ce que prétendait la “tradition”, les azohim choisissaient rarement elles-mêmes qui éduquaient leurs enfants. Mais Michael ne voulut pas vexer Arielle en appuyant sur cette vérité. Disait-elle vrai en prétendant qu’elle avait choisi Michael ? Ou bien le Grand Architecte avait el prit la décision el-même ? La maitresse en titre avait peut-être profité de l’affection du souverain pour le pousser à suivre son propre choix. Au final, peu importait. Que Michael le veuille ou non, el était maintenant le gardien de Prométhée. 

Le lendemain, Michael reçu de nouveau Prométhée et sa mère, mais cette fois, comme le voulait la tradition, cette dernière ne put rester. La séparation, qui n’allait pourtant durer que quelques heures, fut dramatique pour l’azoha. 

— Sois sage, ordonna-t-el à son fils en retenant ses larmes. Écoute bien Michael. Ne fais pas de bêtises !

Quelques instants plus tard, Michael se retrouva seul avec Prométhée, dans un petit salon remplit de jouets. Le jeune chérubin ne s’y intéressa pas. De tous les petits yeux qui couvraient son visage, ses ailes, ses bras, el scruta Michael avec fascination. Ce dernier lui rendit un regard gêné. Comment diable allait-el éduquer un chérubin, el qui était une vertu ? Heureusement, l’enfant brisa le silence avec mille questions.

— Maman m’a dit que tu étais une vertu de Hod ? C’est quoi ?

— C’est quoi ?

— Une vertu de Hod ?

Michael ne put s’empêcher de ricaner. 

— Tu dois savoir qu’il existe plusieurs types d’élohim. Toi, tu es un chérubin, moi une vertu. Je suis une vertu qui vient du royaume de Hod. 

— C’est quoi une vertu ?

— Les vertus sont les descendants de Sandalphon, el-même fils du Porteur de Lumière. Notre but est d’aider les autres élohim de bien des manières. Moi par exemple, je les soigne sur le ciel de bataille… du moins, c’est ce que j’aimerais faire. Mais toi tu es un chérubin, sais-tu ce que font les chérubins ?

— On fait des expériences ! affirma Prométhée. 

— Entre autres, sourit Michael. Tu peux devenir scientifique, ingénieur, ou même un technicien qui fait des machines de cristal. Je t’ai trouvé dans la salle des comms. C’est ça qui t’intéresse ? Les machines ? 

Prométhée haussa les épaules. 

— Oh, moi je voulais juste faire un tour dehors. 

— Tu veux devenir quoi quand tu seras grand ? demanda Michael. 

— Une superstar !

— C’est plutôt un truc de principauté ou d’archange ça…

— Et alors ?

— EL a fait de toi un chérubin, donc tu dois être soit un scientifique, soit un ingénieur, ou un technicien. T’as pas trop le choix au-delà de ça. C’est ainsi…

Prométhée n’écouta plus et se mit à danser. 

— Tu n’es jamais sorti du gynécée n'est-ce pas ? soupira Michael. 

Prométhée gloussa sans répondre. 

— Eh bien, lorsque nous sortirons d’ici, je t’emmènerai au musée de Padmilia, promit Michael. Ça sera un bon début pour te faire découvrir autre chose que la nurserie. 

— Mmh, mais les démons sont dehors. Il faut que tu ailles les tuer d’abord ! 

— J’aimerais bien, mais Père ne me laisse pas.

— T’as pas besoin de son autorisation !

— Malheureusement si. L’abri est clos. Comment veux-tu sortir d’ici sans son accord ? 

Prométhée croisa les bras, soupira. Michael vit un étrange éclat passer dans ses nombreux regards, une étincelle de malice. L’enfant soupira encore, d’une manière exagérée, comme pour masquer une émotion. 

— On a même pas le réseau EL ici. Je peux pas regarder mes dessins animés !

— Ah, c’est embêtant ça, ria Michael. Nous n’avons qu’à discuter. Je peux te raconter des histoires si tu veux. 

— Je veux pas des histoires. Je veux ton histoire.

— Mon histoire ?

— Oui ! Ton histoire ! T’es mon frère-gardien non ? Moi je dois te connaître !

— D’accord, je vais te raconter mon histoire alors.

Please Login in order to comment!